Leçon de vie d’une aventurière qui a failli perdre la sienne à deux reprises
Réévaluer. Réimaginer. Résister. Redémarrer. Serait-ce un mantra pour nous tous qui essayons de nous relever après le marasme de 2020 ? Pour Tamara Lunger, ski-alpiniste, grimpeuse de haute montagne et athlète italienne sponsorisée par Garmin, ces mots ont pris un sens nouveau lorsqu’elle se battait corps et âme, pendant que le monde était sous le choc d’une pandémie globale. Tamara a quelques conseils à donner à tous ceux qui ont dû face face à une impasse mentale ou physique. Tamara a goûté très tôt à la vie sportive, grâce à son père, compétiteur en VTT et, plus tard, en ski alpinisme. Enfant, avec sa mère et ses deux sœurs, Tamara suivait son père partout sur les circuits de course. « Nous étions son plus grand fan club », dit Tamara. « Dormir dans la camionnette, préparer le petit déjeuner, être avec tous les sportifs. J’adorais ça. »
Comme souvent avec nos premières amours, Tamara ne pouvait penser à rien d’autre. Elle ne tenait pas en place. Une amoureuse de la nature et une rêveuse. Elle avait l’aventure dans le sang. Très jeune, elle s’imaginait devenir sportive professionnelle, sans savoir encore dans quelle discipline. Jusqu’à ce que son père prenne une nouvelle trajectoire et devienne compétiteur en ski alpinisme. À 14 ans, Tamara le suivit pour arpenter une piste près de chez eux, dans le Sud-Tyrol, une province du nord-est de l’Italie. Elle apprécia particulièrement l’ascension – et non, pas par le téléski. « Ce n’était qu’une montée de 600 mètres, mais j’ai vraiment aimé parce que c’était très dur et que j’ai dû faire beaucoup d’efforts », explique Tamara.
Même si l’exercice était difficile, Tamara en voulait toujours plus. Elle rencontra vite le succès, gagnant des courses de ski dès ses débuts. Tamara se fit aussi remarquer très tôt pour s’être fixé un objectif très ambitieux. Un article de journal parlait d’une Italienne qui avait escaladé l’Everest sans oxygène. « Quand j’ai lu cet article, je me suis dit : ‘Un jour, je le ferai. Je suis sûre que c’est la chose la plus difficile à faire en montagne, alors je le ferai’ », raconte-t-elle.
Avance rapide jusqu’en mai 2010. À 23 ans, Tamara est devenue la plus jeune alpiniste féminine à atteindre le sommet du Lhotse, également connu sous le nom de South Peak, dans la chaîne de l’Himalaya. Quatre ans plus tard, elle gravit le K2, la deuxième plus haute montagne du monde, sans apport d’oxygène.
« J’étais simplement assise, dans l’Himalaya, c’est inimaginable. Le vent me soufflait dans les cheveux, l’herbe dansait dans le vent, c’était exactement comme je l’avais rêvé toutes ces années », se souvient Tamara en souriant.
Réaliser son rêve à un si jeune âge est incroyable, mais il y a un prix à payer. La soif d’aventure de Tamara n’a jamais faibli. Pourtant, son corps a commencé à envoyer des signaux d’alerte. Dix-huit années d’une douleur ignorée, qui est survenue à l’âge de 13 ans, pendant une poussée de croissance, ça ne pardonne pas. Mais Tamara a continué à redoubler d’efforts.
Forcée de prendre un peu de repos durant l’hiver 2018 et pendant une grande partie de l’année 2019, Tamara est devenue de plus en plus impatiente à l’idée de son grand défi suivant. En décembre 2019, après des mois de planification, Tamara et l’alpiniste Simone Moro se sont lancés dans la première ascension hivernale des Gasherbrum I et II au Pakistan. Tamara se souvient que la visibilité était mauvaise à leur arrivée et qu’elle ne voyait pas du tout la montagne.
« Le lendemain, je me suis réveillée, je suis sortie de la tente et j’ai levé les yeux », a déclaré Tamara. « J’ai vu la montagne, mais je n’ai ressenti aucune connexion. Il n’y avait rien. Je me suis demandé ce que cela pouvait bien vouloir dire, j’avais un peu peur, mais je me suis dit que j’allais me donner du temps. Peut-être que l’énergie viendrait ». Pendant les 18 jours suivants, Tamara et Simone ont travaillé dur. Très dur. Certains jours, ils ne couvraient que 150 mètres, progressant très peu à la verticale.
« Nous avons dû faire des allers-retours, et il n’était tout simplement pas possible de traverser », affirme Tamara. « Il y avait un grand sérac dans un glacier. À chaque pas, nous devions vérifier s’il y avait une crevasse. Malgré tout, nous sommes tombés plusieurs fois dans de petites crevasses. »
Elle compare la situation à un jeu de roulette. Seulement, dans ce cas, la roulette était recouverte de glace. Et le moindre faux pas coûtait très cher. Pourtant, le duo d’alpinistes appréciait chaque pas et chaque effort. Tamara s’illumine lorsqu’elle décrit les sections techniques et l’habileté requise. Elle et Simone étaient comme des enfants avides de jouer et d’explorer. Ils ouvraient la marche à tour de rôle. Dans l’une de ces sections techniques et sournoises, Tamara dut poser ses bâtons de ski et se préparer à assurer Simone. En une fraction de seconde, juste avant qu’elle n’accroche la corde au mousqueton de son harnais, Simone fit un premier pas et tomba dans une crevasse. La corde, toujours dans la main de Tamara, attrapa son pouce et la projeta en avant.
« J’étais comme Superwoman, raconte-t-elle. J’ai volé en l’air, avant de retomber sur la neige et de glisser jusqu’au bord même de la crevasse. » Son partenaire était suspendu 20 mètres plus bas et tout son poids, 90 kilos entre l’homme et son matériel, reposait sur Tamara et son pouce emmêlé. Pendant les minutes atroces qui suivirent, Tamara essaya de fixer la corde à son piolet à l’aide de ses dents et de sa main libre, tout en hurlant de douleur. Finalement, Simone réussit à planter une broche à glace, à attacher son harnais avec une écharpe et à couper la corde, libérant ainsi le pouce de Tamara. Avec une seule main valide, Tamara termina le sauvetage en fixant un deuxième ancrage et une broche à glace pour lentement remonter Simone.
De retour au camp, les alpinistes épuisés se reposèrent et soignèrent leurs blessures. Simone affirma qu’il était temps de rentrer à la maison. L’expédition était terminée. « Vraiment… Tu penses qu’on doit rentrer ? » répondit Tamara. « Il a dit que j’étais folle, parce que ma main ne sentait plus rien et que je pouvais facilement avoir des engelures. »
Ils rentrèrent donc chez eux. Il aura fallu six semaines à Tamara pour retrouver des sensations dans la main, et plus longtemps encore pour guérir son esprit. « J’étais si triste. J’étais détruite », explique Tamara. « J’ai beaucoup réfléchi parce que, par le passé, sur trois expéditions hivernales, j’ai failli perdre la vie au cours de deux d’entre elles. »
Quel message en retirer ? Suivait-elle son vrai chemin ou était-il temps de changer ? Elle a prié. Elle s’est interrogée. Elle a décidé de se donner un peu de temps. Du temps pour elle. Du temps loin de la montagne. Et puis une pandémie mondiale ne lui a plus laissé le choix. Son pays d’origine, l’Italie, a été durement touché par le coronavirus et s’est rapidement confiné. Le moment était on-ne-peut-plus opportun pour une aventurière épuisée ayant besoin de guérir son corps et son esprit. « Mon corps a beaucoup souffert ces dernières années, » reconnaît Tamara. « Et peut-être qu’une grande partie de cette douleur venait de ma tête. » Pendant le confinement, Tamara s’est tournée vers des pratiques comme la méditation et l’écriture, a commencé à travailler avec un coach de vie et a même suivi un cours d’auto-guérison.
« J’ai vraiment essayé d’aimer mon corps », a déclaré Tamara. « Parce qu’avant, mon corps était mon ennemi. Je détestais mon corps, je lui disais : ‘Tu es trop faible pour ma motivation et mon ambition’. Une guerre faisait rage en moi. »
Ces nouvelles pratiques ont demandé des efforts. Le genre d’effort auquel Tamara n’était pas habituée. Mais après un travail et une réflexion approfondis, elle a compris que, si elle pouvait changer son corps, pourquoi ne pourrait-elle pas changer son état d’esprit ?
« J’ai fini par comprendre que je mettais beaucoup plus d’énergie dans la peur de l’échec que dans la poursuite de ma passion et de l’amour de l’alpinisme », déclare Tamara. « C’était une période très difficile. J’ai beaucoup pleuré. Je me sentais seule et triste, mais je savais que j’avais besoin de passer par là pour devenir quelqu’un d’autre ». Quelle personne Tamara Lunger est-elle devenue à travers ce processus ? Une femme qui se voit forte, animée d’une énergie paisible. Une femme qui abordera sa prochaine expédition avec autant de passion que de gratitude.
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